Au fil de l’eau courent mes pensées
Finie la claustration imposée de l’hiver ! La nature rieuse sous le ciel bleu nous invite à des promenades bucoliques, où les coucous enchantent les prés et les yeux et démangent les mains de bouquet à composer, résisterais-je longtemps à ces talus piquetés de gaietés ?
Je n’aime guère cueillir des fleurs, imaginant leur désarroi de se trouver ainsi privées brusquement de leurs congénères et pays d’origine pour se trouver transplanter dans un bocal, si joli soit-il, avec de l’eau chlorée pour seul réconfort dans le but d’égayer un intérieur si douillet veuille-t-il être.
Montant de mètre en mètre en altitude on revient en arrière dans le temps de quelques semaines ;
Les feuilles pointent à peine aux branches et laissent deviner les appâts du château de la belle au bois dormant entre les rameaux .
Les herbes folles encore bien vertes batifolent sur un pont ayant sans doute vu passer quelque prince en carrosse
et un antique pigeonnier couronne une éminence d’où l’on devine encore l’envol du messager vers un amoureux éloigné ou un père ignorant encore sa bonne fortune.
Le tarnon coule inaltérable et glacé, au bord de notre pique-nique, alimentant le chien en boisson, et nos idées en pensées.
Je me retourne parfois sur ce que je vous communique ici de façon assez perplexe. J’étais partie sur l’idée d’un blog de littérature et de poésie, émaillé de quelques voyages et me voilé embarquée dans un blog de déco, entre deux visites touristiques ! Difficile de concilier l’ensemble surtout que j’ai naturellement un œil assez interrogatif sur les tenants et les aboutissants des courants décoratifs actuels.
A une époque où le « toujours plus vite » et toujours plus jetable envahit nos vies et nos écrans, que l’on suive une tendance ressortie des armoires de nos grands-mères, me semble assez paradoxal. Il fut un temps où un service de table durait tout une vie, je me vois aujourd’hui assortir la moulinette à gruyère avec mon bouquet du jour. Conjugués avec les termes « déco durable », les mots « tendance de saison » me semblent relever du grand écart acrobatique, et le comble de l’oxymore me ravit chez certains brocanteurs qui décapent un meuble d’époque pour le peindre et le patiner « à l’ancienne ». Un peu comme si on tirait sur les branches d’un scion de pommier de l’année pour le faire donner des fruits plus tôt !
Certains sociologues se sont déjà penchés sur le phénomène, pour ne pas dire certains psychanalystes.
L’histoire a répandu les récits des incroyables et merveilleuses, ce courant de mode caractérisé par des extravagances en réactions à la tristesse de la terreur en 1794. Allant jusqu’à supprimer de leur élocutions la lettre R, première lettre du mot révolution qui avait tant pesé sur leur vie. Ils prononçaient ainsi « pa’ole d’honneu’ ». Nous en avons gardé le style Récamier
et je préfère cette image à la plus classique de David car on y voit une belle bibliothèque en fond. Les modes passent et laissent leurs traces, plus ou moins évidentes à décrypter.
Photo prise sur le net fête du lycée Feuchère thème les incroyables et merveilleuses 1919.
Que peut donc vouloir dire notre tendance actuelle à tout peindre en blanc par exemple ?
Une volonté de faire entrer la lumière dans les maisons, contrecarrant par-là, la crise énergétique ? Un désir de virginalisation face à des comportements sociaux de moins en moins conventionnels ? Un affichage d’une facilité des technologies d’entretiens dues à un niveau de vie élevé ? Un désir de repartir à zéro dans des transmissions qui tout en s’accumulant ne nous ont pas apporté ce que nous en espérions. Ou au contraire, une facilité d’adaptation des éléments de décor face à un nomadisme imposé par le monde du travail.
Cela se compose bizarrement avec une légitimation forcée grâce à des éléments de décors anciens, linges de familles, voire même tableaux d’ancêtres adoptés.
Selon Keynes les tendances de modes obéissent aux mêmes impératifs que les marchés boursiers, ou …les concours de beauté ! C’est-à-dire que chacun ne vote pas pour sa préférence propre mais pour le candidat qu’il estime avoir le plus de chances de gagner. Le consommateur à l’affût n’acquiert donc pas ce qu’il estime le plus mais ce qu’il estimé être en mesure de plaire au groupe social de référence. Les producteurs eux-mêmes optent pour des gammes qu’ils jugent non pas adaptées à la société mais susceptibles d’être considérés comme telle par celle-ci.(Sources Guillaume Erner).
Voyez la baignoire ci-dessus, elle fait rêver n'est-ce pas ?
Un plancher ciré sous une baignoire en plein milieu de pièce ne conviendrait tout de même pas à une famille avec trois petits enfants turbulents inondant une salle de bain TOUS les soirs.
Et voilà comment, ayant inconsciemment remarqué que mes articles bucoliques retenaient plus votre attention que ceux consacrés au prix Goncourt, je me retrouve à vous détailler mes dimanches au bord de l’eau et mes tables de Noël.
Je vais vous dire…Je n’ai pas résisté ! J’ai fait un bouquet de coucous (primula veris) magnifique,
Je leur parle un peu, le soir, pour leur tenir compagnie et les consoler de la perte de leurs vertes prairies.